Au Collège Saint Louis de Bourdon, nous avions la tradition d'organiser une foire du livre. À cette foire, vous aviez la chance de rencontrer plusieurs auteurs lors de conférences : Gary Victor, Émilien Prophète, Yanick Lahens, Ange Bellie Andou, et tant d'autres. C’était un moment inoubliable pour nous, les Saint Louisiennes. Les écrits de Gary Victor, qui est mon auteur préféré, m'ont toujours captivée. Aujourd’hui, c’est un privilège et un grand honneur pour moi de vous parler de l'un de ses livres : "Saison de porcs".
Gary Victor, c’est un peu comme un chef cuisinier des mots : il mélange les ingrédients du quotidien avec une pointe de suspense, le tout mijoté à feu doux avec des digressions croustillantes. Dans "Saison de porcs", il nous sert un plat épicé, un mélange savoureux d'humour et de sérieux. Imaginez que Mireya raconte à son père qu'elle a vu son ami, l'agent Colin, en rêve avec une tête et des oreilles de porc. Oui, vous avez bien lu, un cochon ! On se dit d’abord que c’est une blague, mais au fil des pages, on commence à se dire « et si… ? ». À la fin, on se rend compte qu’on a été pris dans un tourbillon de fiction si bien ficelé qu’on en oublierait presque la réalité. C’est ça, l’imaginaire haïtien selon Gary Victor : surprenant, déroutant, et toujours captivant.
Le talent de Victor réside dans sa capacité à brouiller les frontières entre réalité et fiction. Ses lecteurs se retrouvent souvent à se demander : « Est-ce que cela pourrait vraiment arriver ? » Avec lui, la littérature haïtienne franchit des frontières audacieuses, loin des simples récits réalistes. Ses romans ne se contentent pas de décrire des scènes ou des drames ; ils plongent profondément dans le tissu social, politique et culturel de Haïti.
"Saison de porcs" est plus qu’un roman ; c’est un miroir critique de notre société. Il dépeint sans détour nos vices et nos ridicules, exposant les pratiques qui avilissent et déshumanisent. Loin d’être une œuvre gratuite, c’est un appel à l’éveil collectif et à l’engagement dans la reconstruction de notre communauté.
Prenons l’agent Colin, par exemple. Ce jeune policier, fraîchement enrôlé, rêve de gravir les échelons sans effort. Il ne veut pas finir comme son mentor, l’inspecteur Azemar ; il veut vivre la grande vie. Mais Colin, victime de sa naïveté, finit par s’écraser. Il est l’illustration parfaite de ces jeunes fonctionnaires qui, trop pressés, prennent des raccourcis dangereux.
En contraste, l’inspecteur Dieuswalwe est un homme intègre, un modèle de droiture et d'honnêteté. Il croit en l’honneur, en la justice, et en son fameux « tranpe », sa boisson favorite. Il rêve de voir Haïti renaître, débarrassée de l’injustice, de la corruption et de la délinquance. Malheureusement, son intégrité lui vaut souvent des reproches, dans une société où l’informel règne en maître et où les principes sont souvent malmenés.
"Saison de porcs" met à nu les travers de notre société : une société rongée par l’impunité, le barbarisme, l’hypocrisie et l’obscurantisme. En Haïti, c’est l’informel qui prédomine, et le roman de Victor expose cette laideur avec une honnêteté brutale.
Mais ce n’est pas tout : Gary Victor nous montre aussi comment le pouvoir, loin d’être un outil au service du bien commun, est souvent utilisé comme une arme personnelle. Dans "Saison de porcs", le sénateur de la République et le commissaire Dorilus exploitent leurs positions pour réaliser leurs sombres desseins. Le pouvoir n’est pas institutionnalisé, il est privatisé, et cela se fait aux dépens des citoyens.
Le sénateur, par exemple, est un intouchable qui protège des trafiquants, justifiant ses actions par des relations internationales privilégiées. Le commissaire Dorilus, quant à lui, force l’inspecteur Dieuswalwe à suspendre des enquêtes pour éviter des ennuis. Le pouvoir devient ainsi un instrument de répression, utilisé pour régler des comptes et semer la peur.
"Saison de porcs" est un roman qui pousse à la réflexion. À travers ses pages, Gary Victor nous invite à questionner et à critiquer notre réalité, à reconnaître les pratiques qui freinent notre société et à envisager des solutions.
Pour ne pas conclure de façon trop formelle, disons-le clairement : "Saison de porcs" est un titre accrocheur qui suscite la curiosité. Mais alors, de quels porcs parle-t-on ? D'où viennent-ils ? Qui sont-ils ? Vous le découvrirez en plongeant dans ce roman captivant. La corruption, l’avarice, le mensonge et la destruction sont au cœur de cette saison porcine. Après avoir terminé le livre, vous vous surprendrez peut-être à murmurer « c’est cochon et compagnie », en écho à Émile Zola dans "Pot-Bouille".
Gary Victor ne laisse rien au hasard. Il dénonce le laxisme et la privatisation des institutions publiques pour des intérêts personnels, tout en intégrant les contes fantastiques qui animent les croyances populaires haïtiennes. "Saison de porcs" nous montre la progression du désenchantement haïtien jusqu'à la déchéance finale, une société qui continue de sombrer sans vouloir s’en sortir.
"Saison de porcs" est un roman qu'il faut absolument lire. Gary Victor, avec son humour mordant et sa plume acérée, nous offre une œuvre qui ne se contente pas de divertir, mais qui nous pousse à réfléchir sur notre société et à envisager des changements. Ne passez pas à côté de cette lecture enrichissante et percutante !
Saison de porcs : dans l'imaginaire haïtien de Gary Victor
